Andruet : Pilote de l'impossible

De tous les pilotes, Jean-Claude Andruet est un des plus fascinants. Des surdoués comme Jean Pierre Nicolas, ça court pas les rues. Probablement Bernard Darniche ou Jean Luc Thérier en sont-ils aussi. Tous des pilotes capables de faire toutes les acrobaties imaginables, presque sans effort.

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Rallye du Maroc 1973 Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par Le Tahitien - Jean Poirot   
14-02-2007

Nous sommes nombreux à aimer entendre pilotes et copilotes nous raconter la belle époque des rallyes.

C'est ce que Le Tahitien nous propose avec ce premier récit, celui du rallye du Maroc 1973 auquel il a participé en Renault 12 Gordini. Le récit est long mais il est passionné, il reprend spéciales après spéciales toutes les péripéties vécues de l'intérieur. Un grand merci au Tahitien et à Jean Poirot de nous faire partager 33 ans après cette aventure !

De la terre et de la rocaille, dans la série un rallye du championnat du monde vu de l'intérieur par un équipage indépendant, je vais vous relater mon Rallye du Maroc 1973: Equipage Le Tahitien Jean Poirot sur Renault 12 Gordini "Usine":

L’engagement au volant d’une Renault 12 Gordini Usine ayant terminé 3e au Rallye de Suède avec Jean Luc Thérier est consécutive à la 4e place obtenue en 1972 au rallye du Maroc avec un Renault 16 G 2 et au titre de Champion du Maroc des rallyes.

Le projet est engagé avec Jacques de Boulois avec qui j’ai fait le rallye en 1972, en fait ce projet n’a pas pu être porté à son terme et en définitif c’est avec Jean Poirot que je décide de partir, car outre le rallye du Maroc nous montons un projet pour plusieurs rallyes au Maroc et en Espagne avec une Alpine 1600S G 4.
Le budget est réuni avec l’aide de Renault Maroc et de 14 concessionnaires Renault ainsi que quelques sponsors, Elf Afriquia, Ferodo, Cibié, Bouchardon outillages, Sofac crédit et vins Doumi, qui me soutiennent régulièrement.

Il faut commencer les reconnaissances, Jean qui est architecte à Alger ne peut pas se libérer pour les reconnaissances et c’est avec plusieurs copains que nous les effectuons, essentiellement avec une Renault 12 break, une petite anecdote sur la piste de Missour Meski qui est réputée pour ses « têtes de chat », des rochers qui affleurent la piste et sont terriblement destructeurs de suspension, au bout d’une centaines de km on perd littéralement l’essieu arrière, constat des dégâts, les deux supports de tirants et le tuyau de frein sont arrachés, un amortisseur cassé et quelques dégâts sous la caisse et la carrosserie, à l’aide du cric et avec du fil de fer et de la corde nous effectuons une réparation de fortune dont on constate rapidement les limites, le véhicule se tortille sur la piste et il n’y a plus de freins, enfin il faut bien rentrer à 10 km/h, fini les reconnaissances… au bout de quelques km nous arrivons sur un départ de piste très visible mais sur un cap éloigné du parcours de la spéciale, après hésitation nous la prenons espérant trouver un douar pour améliorer notre réparation, à une dizaine de kilomètres nous tombons sur un chantier de prospection tenu par des Français de chez Total, en fait c’est un véritable village en plein désert, avec garage, soudure et tout l’outillage pour réparer, le responsable du chantier nous accueille chaleureusement et avant de travailler sur la voiture il nous invite a nous rafraîchir dans des bungalows climatisés, en pleine zone désertique cela nous impressionne. Après les hommes, la voiture, agréable surprise, un des mécaniciens n’avait pas attendu que l’on revienne et les travaux étaient déjà bien engagés, une heure après nous repartions avec une Renault 12 quasiment neuve. Le reste des reconnaissances s’est déroulé sans problème particulier.

De retour de la dernière reconnaissance, j’espère pouvoir trouver la voiture de compétition, malheureusement les formalités ont retardés la sortie du port et ce n’est que la veille de la mise en parc fermé que nous pourrons procéder au stikage des sponsors et aux aménagements personnels, casques, interphones, trip-master, outillage…Le lendemain matin prise en main de la R12G sur la route de Rabat, premières impressions, le moteur pousse fort (160 cv) et la direction est terriblement dure à cause de l’autobloquant, cela se vérifiera tout au long du rallye, il faut des « biscotos » pour piloter l’engin.

Le contrôle technique et la mise en parc fermé se passent sans encombre, le reste de la journée est bien rempli à finaliser les détails sur les notes et notre assistance carburant …

La « concurrence » est du meilleur niveau, en effet ce n’est pas moins de 20 pilotes professionnels au volant de voitures d’usines et une dizaine d’excellents pilotes privés ayant l’expérience du Rallye du Maroc.

Première étape Rabat - Fez 901 km dont 200 km de spéciales

ESC 1 Khatouat :

95 km de piste assez bonne, moyenne Darniche 86 km/h, le rythme est bon, on double la DS 21 de Kebtane et la Porsche d’Alteinmener, l’arrivée est en vue, encore un bon km et nous tenons un très bon temps… le moteur hoquette, c’est la panne (d’essence), comme cela monte légèrement la R12G s’arrête, on descend et on pousse, bilan 5 a 6 minutes de perdues et une grosse suée. Diagnostic, le bouchon est absent et l’essence s’est répandue tout au long de la spéciale ? Comme je n’avais pas mis trop d’essence avec l’intention de faire « péter » un temps dans la première spéciale que j’avais soigneusement reconnu, ce qui est pris est pris. Bilan 24ème pour le numéro 24. Après avoir (bien) remis un bouchon prélevé sur le véhicule d’un spectateur, nous repartons un peu déçu… mais le rallye est long...

ESC 2 Col du Zégota :

30 km de goudron très rapide, moyenne Darniche 127 km/h, 16ème temps, alors que la R12G n’est pas spécialement à l’aise sur le goudron surtout avec des pneus terre, Nora Michelin, les pilotes professionnels utilisant des racings.

ESC3 Khetama :

40 km de goudron, montées et descentes, moyenne Darniche 109 km/h, 17ème temps.

ESC4 Souk el Had :

30 km de goudron, assez rapide, moyenne Darniche 115 km/h, 16ème temps.

2e étape FEZ - MARRAKECH 1018 km dont 380 km de spéciales

ESC 5 Missour Meski

175 km de piste assez cassante, voir chapitre reco, moyenne Darniche 85 km/h, 16ème temps.

ESC6 Rich Tizi’n Isly :

205 km de piste lente, radiers, oueds et virages se succèdent, moyenne Thérier 71 km/h, 16éme temps. Nous sommes 15ème au scratch, 1er équipage « indépendant », je suis satisfait du classement, la R12G marche bien, je m’habitue à l’autobloquant et Jean est parfait dans les notes. Lorsqu’on arrive à Marrakech, au garage Renault du Guéliz ou se trouve l’équipe Alpine, nous retrouvons notre statut d’indépendant, l’ensemble des mécanos sont occupés sur les Berlinettes et la R12G de Piot, tout y passe, Fusées, arbres de roues, amortisseurs, freins, pneus, filtres… le temps passe, il faut attendre que tout soit terminé pour que 2 mécanos se penchent sur notre R12G, malgré leur bonne volonté et leur dextérité, le chrono tourne et nous prendrons 9 minutes de pénalité en rentrant au parc fermé, nous sommes un peu grognon d’autant que dans l’affolement à redescendre le pont élévateur, Jean se fait coincer le pied, on craindra une fracture tellement la douleur est vive, il finira bandé et sans chaussure.

3e étape Marrakech-Marrakech 915 km dont 379 km de spéciales

ESC 7 col du Tizi’n Test :

87 km de goudron et piste pour moitié, montagne avec le précipice à droite sans muret, l’année dernière je suis sorti de la piste avec la R16, la roue avant droite était dans le vide et quand jacques est sorti du véhicule il n’avait pas pied !!! Grosse chaleur, il a fallu faire un tas de pierres pour pouvoir reculer, c’est dans cette spéciale que Jean François PIOT se tuera au volant d’un Land Rover, moyenne Thérier 86 km/h, 14ème temps, on regagne une place au scratch.

ESC 8 Irherm Tata Foum Zguid :

200 km de piste très piégeuse avec beaucoup de ravines et oueds masqués, Piot qui était 2ème au scratch abandonne, sur rupture du « triangle » supérieur, les ressorts avants s’avèrent trop souples et la suspension talonne sur les nombreux sauts, un petit arrêt pour s’enquérir d’un aide possible, rien à faire, l’année dernière nous avions dépanné Anderson qui avait percé son radiateur d’Alpine, cela avait été apprécié en « haut lieu », je repars avec la « photo » du train avant dans la tête en essayant d’imaginer celui de notre R12G ? moyenne Deschaseaux 67 km/h, 9ème temps et par la même occasion la 9ème place au général. A la sortie de Tata, une longue ligne droite de plusieurs kilomètres avec des « sommets » qui passent à fond de 5ème, 160 km/h sauf un …qui se termine par un gauche à 50 km/h maxi dans le radier et là, surréaliste, la Datsun 240Z rouge complètement détruite, avec Metha et Philips assis sur l’énorme rocher qu’ils viennent de percuter après avoir tiré tout droit.

ESC 9 Tazenakht :

92 km de bonne piste rapide, moyenne Nicolas 116 km/h, 6ème temps.

4e étape Marrakech-Casablanca 1359 km dont 256 km de spéciales

ESC 10 Col Tizi’n Tichka :

20 km de goudron de montagne avec route large, moyenne Thérier 116 km/h, 6ème temps.

ESC 11 Zagora Rissani :

236 km de pistes avec de nombreux oueds et ravines, moyenne Deschazeaux 86 km/h, compte tenu de l’état du train avant dont les cotés d'auvent commence à se décoller et l’indisponibilité de l’assistance pour souder des renforts, je lève le pied, 10ème temps, après la spéciale je constate que les fissures s’élargissent et il est convenu avec Alpine que les renforts seront fait à Midelt, en attendant, il faut "avaler" 250 km de goudron avec un bon rythme pour se ménager le temps nécessaire à l’opération. Tout au long du parcours les spectateurs sont canalisés par la police, les gendarmes et les militaires, en traversant Errachidia, jour de souk, la foule est nombreuse et alors qu’un policier nous incite a passer le plus vite possible, un taxi collectif, débouche d’une ruelle entre les spectateurs, malgré un freinage d’urgence, le choc est inévitable, heureusement sans blessé, pendant que le policier et le chauffeur s’expliquent, je fais le bilan, avant enfoncé, radiateur percé et plus de phares. Nous repartons vers Midelt le moral dans les chaussettes, nous sommes dans une région montagneuse et dès les premières montées la température du moteur dépasse les 120°, il faut remettre de l’eau que nous trouverons sur le bord de la route, il faudra renouveler l’opération à plusieurs reprises, à chaque fois que je remets de l’eau froide, un nuage de vapeur et de sinistres tac-tac me donnent l’impression que le moteur va éclater.

A notre arrivée à Midelt, deux bonnes nouvelles, le moteur a tenu le coup et l’assistance a un radiateur neuf , une mauvaise, ils n’auront pas le temps de faire des renforts sur la carrosserie.
Il n’y a plus de spéciale à faire, par contre il reste un secteur assez difficile entre Midelt et El Ksiba en passant par le Jaffar, le tout de nuit. Le temps imparti pour faire les 300 km de piste est serré et il va falloir rouler comme en spéciale, plusieurs équipages prendront des pénalités, la piste du cirque de Jaffar est étroite, sinueuse et le ravin à droite impressionnant, de nombreux éboulements constituent des « jumps » qui sont destructeurs pour la R12G. plus nous progressons, plus le capot moteur semble se lever, en fait la chapelle d’amortisseur droite est en train de se désolidariser du coté d’auvent. Alors que la partie la plus difficile se termine, un gros bruit , le capot est projeté en avant et la R12G s’arrête en traînant sur la piste. Constat, le ressort droit a disparu laissant un trou béant. Pas de panique, il faut retrouver le ressort qui est à une quinzaine de mètre. Après plusieurs tentatives nous fixons le tout avec le câble du tire-fort arrimé a l’arceau de sécurité. Pour soulager la suspension Jean s’installe dans le coffre avec les pompes a essence… La conduite est particulièrement délicate dans la quasi obscurité, les phares sont cassés ou déréglés, chaque fois que je tourne à droite le véhicule accentue le mouvement et embarque dangereusement. Il faut se cramponner au volant et j’ai eu de nombreuses frayeurs. Tout occupé à rester sur la piste j’oublie Jean qui est dans le coffre…

Nous arrivons au contrôle horaire, avec seulement 6 minutes de pénalité. Alors que je sors de la R12G complètement usé et hagard, je me dirige vers Jean qui est dans le coffre depuis une centaine de kilomètres, le capot s’est refermé... depuis combien de temps ? J’ouvre et j’ai du mal a distinguer la silhouette de Jean tellement il y a de la poussière, il est prostré a moitié groggy, nous le sortons avec l’aide des commissaires et il faudra plusieurs minutes pour qu’il retrouve ses esprits et nous raconte son « calvaire », quelques kilomètres après être repartis, le capot s’est refermé, il a cru y rester, entre la poussière et les odeurs d’essence. Il a bien crié et tapé dans la cloison mais tout cela a été couvert par tous les bruits du véhicule.

A cet instant nous sommes toujours 8 ou 9ème au scratch. Il reste une trentaine de kilomètres de goudron difficiles, montées, descentes et épingles a gogo, la nuit est avancée, la fatigue nous mine, j’évite a plusieurs reprises la sortie de route.
A l’approche d’El-Ksiba le câble casse et la R12G s’arrête en traînant sur la route. Après plusieurs essais pour la remettre sur les roues, le physique et le moral sont atteints, on jette l’éponge, pour nous le Rallye se termine là, dommage il restait seulement 220 km de bonne route pour rentrer a Casablanca.

Le lendemain, la pression étant retombée et l’esprit un peu plus clair, nous bricolons une réparation de fortune qui nous ramènera à Casablanca.

Le rallye a été gagné par Darniche et Mahé et Alpine a fait un pas décisif vers le titre de Champion du Monde des Rallyes.

L’expérience au volant d’un véhicule d’usine est fabuleuse… mais il faut savoir rester a sa place d’indépendant, à ce propos j’aurais d’ailleurs quelques anecdotes sur le rallye 1974 avec la berlinette Usine, mais ceci est une autre histoire…

Après la cérémonie de la remise des prix, Monsieur De Lamarzelle, Directeur de Renault Maroc, nous conviera a un méchoui avec toute l’équipe Alpine.
De sacrés souvenirs. Salut à tous.

Le Tahitien & Jean Poirot sur Renault 12 Gordini N°24

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