Nicolas Bigosinski nous a contacté par email. Son
message était agrémenté de quelques photos de son
auto et d'un long texte. Nicolas vit en Floride. Il possède aujourd'hui
une rare Alpine GTA 'version américaine'.
Son histoire est longue mais tellement signifacative de
ce que chacun de nous a pu vivre, que nous avons renoncé à
vous en faire un résumé. Voici donc, dans son intégralité
cette histoire signée Nicolas Bigosinski (nicolas@classiceurocars.com)...
Je me souviens de ce jour en 1977 alors que j’avais 12 ans. Un ami
de mes parents travaillait pour Renault en tant que Commercial et ce
jour là, il était au volant d’une Alpine A310 bleue France
toute neuve. Je me souviens des roues pleines en aluminium avec les
3 fentes. En m’asseyant dans la voiture je remarquais ces sièges
enveloppants, l’odeur d’une voiture neuve et surtout les aiguilles du
compteur oranges. J’étais très impressionné… "Peut-être
qu’un jour tu pourras un avoir une comme cela !" me dit le
commercial de Renault.
En 1984, alors que je venais de passer mon permis, je convainquais
Maman d’acheter une Renault 5 Alpine bleue France d’occasion. J’adorais
cette voiture. Ce n’était pas l’A310 que j’aurais souhaité,
mais la couleur était la même, ainsi que les roues et surtout
les aiguilles du compteur. Ma pauvre mère ne conduisait pas la
R5 très souvent car je m’arrangeais pour la conduire au travail
pour filer ensuite vers le Lycée. Ces petites routes de campagnes
étaient idéales pour simuler un Rallye et à 19
ans je me voyais déjà concurrencer Bernard Darniche. Rien
ne pouvait m’arrêter, jusqu’au jour ou j’ai raté un virage
et me suis retrouvé dans le fossé. Pas de dommages corporels,
mais la Renault se retrouva chez un carrossier.
Novembre 1987. Orlando (Floride), Salon Automobile :
"Bonjour Mr. le vendeur de chez Renault/American Motors !
Dites moi, j’ai entendu dire que Renault allait importer la nouvelle
Alpine V6 Turbo, savez-vous quand elles seront disponibles et à
quel prix ?"
"Elles ne seront pas importer du tout !"
"Mais ils ont fabriqué quelques modèles Américains,
n’est-ce pas ? Ils vont bien au moins importer celles déjà
construites ? ? ?"
"Pas du tout. Ces modèles ont été tous détruits…"
Je me souviens de cette conversation comme si c’était hier.
10 ans après mon expérience avec l’A310, je n’arrivais
pas à croire que Renault n’importerait pas la V6 Turbo. J’étais
vraiment déçu.
En 1997, alors que je surfais sur Internet, je trouve une petite annonce
pour la vente d’une V6 Turbo, modèle Européen, de 1986.
Le véhicule est en Caroline du Sud et appartient à un
collectionneur qui a besoin de la vendre afin de réunir les fonds
pour finir la restauration d’une A110. J’étais très surpris
car j’ignorais totalement que des particuliers avaient profité
des lois Américaines plus ou moins laxistes des années
80 sur l’importation de véhicules non destinés au marché
Américain, pour importer une Alpine. Combien y en avait-il aux
Etats Unis ? Le vendeur, un passionné de Renault, m’apprit
qu’il n’y en avait que 2 dont la sienne. Entre temps les lois Américaines
avaient changé et il était devenu quasiment impossible
d’importer un véhicule de l’étranger à moins que
le modèle soit destiné particulièrement pour le
marché US. J’avais donc l’opportunité d’acquérir
une de ces deux. Malheureusement le prix demandé pour une voiture
si rare aux Etats Unis était hors de ma portée. Je décidais
donc à contrecoeur de laisser tomber.
Cependant, maintenant il ne s’agissait que d’une histoire de temps
et de moyens avant de pouvoir réaliser mon rêve de rouler
en Alpine.
Novembre 1999, quelque part au dessus de l’Atlantique.
Le vol entre l’Europe et les States est beaucoup trop long… C’est une
remarque que je fais habituellement lorsque je reviens de vacances.
Cependant je profite de ce temps perdu pour me garder au courant des
nouvelles automobiles de France en lisant les magazines spécialisés.
C’est ainsi que je me re-mémorise ces pointes de vitesse accomplies
en Allemagne au volant d’une voiture de location bien trop banale. Assis
confortablement consultant un magazine d’annonces bien connu, je lis
une annonce qui me fait sauter de mon siège. Il s’agit d’une
Alpine GTA Américaine de 1989, Modèle Unique, avec certification
usine et 26MKm. L’annonce est accompagnée d’une photo d’une A610.
A ce moment précis, j’aurais pu facilement devenir un terroriste,
me battre avec les hôtesses et casser la porte du cockpit pour
ordonner à l’équipage de faire demi tour.
Cette nuit fut particulièrement agitée. Pourquoi avais-je
attendu d’embarquer sur le chemin du retour pour lire cette annonce ?
La chance n’était pas avec moi. Mais cela allait changer dans
les mois suivants… Le lendemain j’appelais le vendeur qui m’annonça
que la voiture était vendue, mais qu’il savait qu’il y en avait
d’autres comme la sienne. Vraiment ? !
J’étais en colère et m’en voulais énormément.
Non seulement ce vendeur m’avait menti 13 ans plus tôt, mais maintenant
il allait être très difficile de trouver un autre modèle
de ce type en habitant de ce coté de l’Atlantique. Maintenant
que je savais qu’il existait d’autres Alpines de type USA, il fallait
en localiser une.
Chaque jour je regardais la photo de l’annonce et voyais bien une A610.
Serait-il possible que la V6 Turbo Américaine soit une A610 déguisée
avec le moteur 3L/250ch ? L’A610 représente l’apogée
des modèles Alpine et je m’imaginais déjà en conduire
une sur les autoroutes Américaines à la vitesse légale
de 90 km/h… Je devais en avoir le coeur net. J’envoyais donc une lettre
à Renault en demandant des précisions et comment obtenir
une certification pour les USA. Ces derniers me répondirent qu’ils
n’étaient pas le constructeur du véhicule et que je devais
m’adresser directement chez Alpine à Dieppe.
En cherchant sur Internet, je trouvai plusieurs numéros de téléphone
ainsi que des sites consacrés aux Alpine. Je lançais donc
des appels à tous les passionnés en demandant de l’aide.
A ce moment là j’avais déjà pris contact avec le
Président du Club American Alpine A310 aux USA, Brad Stevens
(voir article Mille Miles #18). Celui-ci est un grand passionné
et possède 5 des 21 A310 recensées aux Etats Unis. Brad
est une source d’information inépuisable quand il s’agit d’Alpine
et je tiens à le remercier pour son aide et surtout sa gentillesse.
Puis un soir, je reçois un coup de fil d’un Monsieur d’Atlanta
(Richard) m’informant qu’il avait acheté quelques mois plus tôt
la GTA de Caroline du Sud et qu’il n’était pas sûr de vouloir
la garder. Tous ces passionnés que j’avais contacté avaient
fait passer le mot… La boucle était bouclée.
Finalement, j’allais rouler en Alpine et je pouvais donc arrêter
de chercher un modèle US.
Cependant, cette photo de l’annonce montrant une A610 et étant
décrite comme une GTA US continuait de m’intriguer. Pour être
honnête, je voulais vraiment une A610. Je demandais donc à
Richard de me donner un temps de réflexion et continuais mes
recherches sur Internet. Il s’avéra par la suite que Richard
avait changé d’avis et espérait que je n’achète
pas la voiture !
Merci à tous, du monde entier, qui m’avez conseiller virtuellement.
Grâce à vous j’ai découvert que la GTA Américaine
ne ressemblait pas à une A610, qu’elle n’avait pas le moteur
3L, que ce n’était pas un millésime 89 et pas un type
D500SP. Il s’agissait plutôt d’un modèle bien spécifique,
basé sur le type D502 (catalysée), avec de plus gros pare-chocs,
des phares cachés, le moteur de 2,5L et environ 200 Kg de plus ;
le résultat d’un investissement de 180 million de Francs investit
par Alpine (et Renault) pour mettre le véhicule aux normes Américaines
dans l’espoir dans vendre 2500 par an... Brad et Mike Deak, un autre
passionné qui possède l’autre V6 Turbo Européenne,
m’ont même envoyé des magazines Américains d’époque
ainsi que des photos pour que je me rende compte du "Look"
différent du modèle US. Merci encore à tous les
deux. La solidarité Alpine est bien vivante.
Enfin j’appelais Alpine à Dieppe. Mr. Vu, le Directeur du SAV,
m’informait que l’A610 n’avait jamais été certifiée
pour la vente aux USA, qu’ils avaient construits 21 exemplaires du modèle
V6 Turbo US, qu’ils en avaient deux à l’usine et que non, celles-ci
n’étaient pas à vendre.. ! En revanche il connaissait
quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui en avait une en Allemagne… Je
notais donc le numéro de téléphone de Mr. Benny
Raepers en Belgique, concessionnaire Alpine depuis 1958.
A ce moment là, la GTA de Richard me plaisait beaucoup !
Appeler Mr Raepers qui éventuellement connaissait un propriétaire
qui éventuellement serait vendeur me paraissait très hasardeux
et loin d’aboutir. Mais on ne sait jamais, donc j’appelais.
"La voiture en Allemagne a eu un accident et elle est détruite ! ! ! ? ? ?",
m’apprenait Mr. Raepers. "Vous avez vous même une GTA US
et seriez prêt à me la céder, vraiment ? ? ?"
Châssis numéro 14, noire, cuir noir, 16,545 miles (26,000
Km) d’origine allait devenir ma propriété, enfin… Ma recherche
venait de prendre fin et maintenant je devais faire face à de
nouveaux problèmes tels que paiement, transport, douanes, carte
grise Américaine, plaques, etc.. Un par un je trouvais une solution
et la voiture fut embarquée le 6 Décembre 2000, destination
Jacksonville, Floride, USA.
L’attente fut longue, mais qu’est-ce que 2 semaines comparé
aux 23 ans que cela m’a pris pour enfin posséder une Alpine !
Il est certain que si j’habitais en Europe je roulerais très
probablement en A610 à l’heure actuelle, mais vivre aux Etats
Unis demandent de gros sacrifices n’est-ce-pas ? !
La voiture arriva sur la côte Américaine le 21 Décembre
et j’en pris possession le 26, non sans quelques problèmes de
dernière minute… En effet l’officier des douanes refusa de croire
que ce véhicule totalement inconnu (pour lui !) pouvait
rouler légalement aux USA. Il est vrai qu’une voiture fabriquée
spécifiquement pour un marché sans jamais y avoir été
vendue était inhabituel. Heureusement, j’étais préparé
et avait apporté tous mes justificatifs y compris la lettre de
certification d’Alpine, magazines, etc.. J’étais si près
du but et si déterminé qu’une heure après je faisais
route vers le port avec la décharge des douanes en main. J’avais
été très convainquant et m’étais fait un
nouvel ami en même temps… Enfin, enfin, j’allais voir ma voiture.
Elle était dans l’état décrit par le vendeur, mais
elle était très sale et la batterie était morte.
Il me fallu 90 minutes pour trouver les cosses de batterie à
distance, puisque cette dernière est située en devant
de la roue avant gauche cachée sous l’aile et inaccessible sans
démonter la roue (spécifique au modèle US), afin
de démarrer l’Alpine pour la mettre sur la remorque. Sur l’autoroute
du retour, je vérifiais constamment mon rétroviseur et
m’assurais bien que je ne rêvais pas. Oui, la belle était
bien là et bien à moi. La seule Alpine GTA Américaine
aux USA…
Depuis j’ai entrée la voiture dans un concours ou elle s’est
placée deuxième dans sa catégorie. Elle était
très populaire avec les anciens propriétaires de Dauphine
qui me racontaient leurs exploits et malheurs avec leur Renault.
Dans les mois qui viennent je vais installer un kit de ressorts courts
car la voiture est beaucoup trop haute (loi Américaine sur la
hauteur des pare-chocs), poser un échappement plus sportif (je
n’entends pas le moteur !) et aussi mettre un intercooler plus
gros pour les sorties sur circuit. Je ne souhaite pas changer l’apparence
d’une façon trop radicale car il s’agit d’une voiture si rare.
En ce qui concerne les autres V6 Turbo Américaines, le vendeur
m’a informé qu’il en existait encore 15 (six ont été
détruites ou accidentées), dont les deux restées
à l’usine à Dieppe. Elles circulent un peu partout en
Europe, de la Suède à l’Espagne.
Quant à la numéro 14, avec ses gros pare-chocs et son
obésité prononcée, elle réside finalement
dans le pays qu’on lui avait promis et qui lui était destiné.