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Pour
beaucoup, Jean-Luc Thérier a été sans conteste, le
meilleur pilote de Rallye que l'on ait connu. Retrouvez-le sous en 1985
dans le numéro 200 de la revue Echappement :
Sens de l'improvisation
Tout le monde, à commencer par ses adversaires, a toujours
considéré Thérier comme le plus doué de tous. Parce qu'il était le plus
spectaculaire. Parce qu'il réussissait des performances époustouflantes,
pratiquement sans reconnaître :
«A l'inverse des Scandinaves, les pilotes français reconnaissent beaucoup
trop, dit-il. Ça ne sert à n'en. Deux passages, trois si c'est une spéciale
qu'on n'a jamais vue, suffisent largement. Il vaut beaucoup mieux être
en forme et ne pas se saturer de kilomètres de recon- naissances afin
de garder l'envie de courir et d'attaquer. Regarde Andruet au Monte-Carlo
avec la Visa: il a fait des super temps, et pourtant il avait très peu
re- connu. Il faut savoir faire des bonnes notes du premier coup d'œil
: le canevas, l'enchaînement des virages les uns par rapport aux autres
compte beaucoup plus que les vitesses de passage. Et il faut surtout
bien se concentrer dans les parties rapides. »
Souvent, dans les rallyes de championnat du monde, Thérier ne reconnaissait
même pas du tout. Il empruntait les notes d'un concurrent et partait à
l'attaque. Ça marchait très bien ainsi. En 1973, l'année du titre mondial
d'Alpine, à une époque où cela paraissait inimaginable pour un pilote
français, Thérier a même été en tête du fameux RAC. Il faut dire qu'il
s'agit du seul rallye à parcours secret du championnat du monde et que
Jean-Luc est quasiment imbattable dans ce style d'épreuves. La même année,
et toujours au volant d'une berlinette, il termina troisième du rallye
de Suède...
« C'est peut-être mon plus beau souvenir, dit-il. Je n'avais pas reconnu
du tout. C'était le surlendemain de mon mariage. J'ai emprunté les notes
de Jean-Pierre Nicolas en priant le ciel pour qu'elles soient précises,
car cette année-là, les organisateurs avaient interdit les pneus à clous.
Et sur la berlinette, pas question de tirer le frein à main car il agissait
sur les roues avant! Inutile de te dire que, quand tu partais en sous-virage,
tu ne l'arrêtais plus, l'Alpine ! Vers le milieu du rallye, on était
alors 3° du général, on s'est fait une super sortie de route. Il y avait
une série de bosses à fond. J'étais à 180km/h sur la neige: sans pneus
à clous, ça commence à faire très vite. Derrière une des bosses, il
y avait un virage serré. On a tiré droit dans la forêt en essayant d'éviter
les arbres. Quand l'auto s'est enfin arrêtée il y avait juste une roue
avant pliée dessous. On a enfilé un écrou en guise de rotule. La roue
se baladait et l'Alpine était très difficile à piloter ainsi, mais on
a continué à attaquer. Bien qu'à l'assistance, Jacques Cheinisse nous
a demandé d'arrêter par sécurité. J'ai dit à Marcel(Callewaert): «accroche-toi
Cécel, ça pourrait faire mal. » Ça a tenu jusqu'au bout et on a réussi
à conserver notre troisième place ! Qu'est-ce qu'on était heureux!»
Ses débuts :
L'enfance de Jean-Luc Thérier a eu pour cadre la vie tranquille et simple
de Neufchatel en Bray, en Normandie. Malin comme un singe, adroit comme
un chat, Jean-Luc a vite eu un regard passionné sur les voitures que vendait
son père, concessionnaire Citroën. Un papa pas contrariant puisqu'a 15
ans, Jean-Luc a déjà commencé à courir... au volant d'un kart.
En
1966, il a vingt et un ans et cinq saisons de glisse et d'attaque derrière
lui. C'est l'époque où le trio Makinen - Hopkirk - Aaltonen enlève tous
les rallyes internationaux au volant des étonnantes petites Cooper S.
En Formule 1, le règne de Jim Clark va être interrompu par les invincibles
Brabham-Repco, tandis qu'aux 24 Heures du Mans, Ford avec ses surpuissantes
7 litres empêche Ferrari d'enlever une septième victoire consécutive.
1966, c'est aussi l'année de la Lamborghini Miura. En France, deux ans
après, Beltoise, Pescarolo,Jabouille, Cevert débutent en circuit. En rallye,
Larrousse, Andruet et Piot commencent à se faire un petit nom, dans l'ombre
des deux rois de l'époque, Jean Rolland et René Trautmann. Darniche et
Nicolas, encore totalement inconnus, font leurs premiers pas en tant que...
co-pilotes, Thérier, bien sûr, va bientôt faire partie de ces futurs «grands»
et cela grâce à une nouveauté qui fait l'effet d'une bombe dans le milieu
des passionnés d'automobile...
...l'année de la Gorde :
Avec ses 70 chevaux et ses 170 km/h, la R8 Gordini fait figure de monstre.
Un monstre à la portée de toutes les bourses, qui va permettre à toute
une génération de pilotes de tenter leur chance. Jean-Luc convainc sa
mère d'en commander une... en cachette du père (car il s'agit d'une Renault,
et chez les Thérier, on vend des Citroën !).
« J'ai raconté à mon père qu'on me l'avait prêtée, mais bien sûr, if
a fini par connaître la vérité et ça a fait une drôle d'histoire: «
débrouille-toi avec ta poubelle, mais je ne veux pas la voir au garage
», m'a-t-il dit!»
Jean-Luc
participe à sa toute première course automobile, le rallye des Lions,
où il termine 6° du classement général, et surtout, premier des «aspirants».
Conquis, Monsieur Thérier père acceptera dès lors de voir son fils bricoler
la R8 dans un coin du garage, et lui donnera même un coup de main!
En même temps qu'elle a présenté la R8 Gordini, la Régie Renault a créé
la «Coupe» Gordini: une série de courses sur les différents circuits français,
avec des R8 Gordini de série. Lorsque JeanLuc s'inscrit à la course de
Reims, en juin, trois ou quatre épreuves ont déjà été disputées, dominées
par des inconnus. qui vont bientôt cesser de l'être, et qui s'appellent
Jabouille, Jarier, Mieusset, Fiorentino, Andruet, Dayan ...
«C'était formidable, raconte Thérier, à l'époque on courait en blue-jean
et en chaussure de ville. Mon auto me servait aussi bien pour rouler
tous les Jours que pour faire des rallyes ou des épreuves de la « Coupe
». Avec des copains, on fonçait voir le départ des 24 Heures du Mans
à cinq dans fa R8, et dans la nuit on revenait à Neufchateh pour le
bal. J'arrêtais pas ! A la fin de l'année, ma Gorde avait plus de î
00 000 kilomètres. Elle m'a quand même permis de finir troisième à la
finale de la «Coupe»... »
Une place très prometteuse qui ouvre à Thérier les portes de la sélection
pour le Trophée Chinetti (réservé aux meilleurs espoirs, avec un engagement
aux... 24 heures du Mans pour les deux meilleurs!). Et là, Jean-Luc est
devant tous les autres. Ce qui va lui permettre, dès sa deuxième saison,
de faire Le Mans où, avec François Chevalier (aujourd'hui directeur du
circuit Paul Ricard), il prend la tête de l'indice avant de casser (il
le remportera l'année suivante...).
C'est à cette occasion qu'il rencontre pour la première fois Jacques
Cheinisse, le directeur sportif d'Alpine:
«Cheinisse a tout de suite compris que je préférais les rallyes et
ce jour-là, H m'a promis qu'il me prêterait une voiture d'usine à l'occasion
d'un rallye... »
En 1967, Jean-Luc Thérier sort pour la première fois de sa chère Normandie
pour aller faire le Tour de Corse. Il tape, mais il a eu le temps de se
faire remarquer en prenant la tête du groupe 1. Quelques mois plus tard,
Jacques Cheinisse se souvient de sa promesse et lui confie unedesR8Gordinidu
service compétition pour le rallye Lyon-Charbon- nières 1968 où il termine
quatrième du général, derrière Andruet, Chasseuilet Maublanc, et premier
du groupe 1, réalisant même deux temps scratch au passage! Alors Cheinisse
lui confie à nouveau une voiture à l'occasion du Critérium des Cévennes
en fin d'année... et là encore, Thérier enlève le groupe 1, de haute lutte
avec deux autres gordinistes doués, Jean-Claude Lefebvre et Jean-Claude
Sola. Du coup, Cheinisse lui propose de participer au Monte-Carlo : Thérier
gagne le groupe 1, finissant à une magnifique cinquième place du classement
général. Un fameux exploit l
Champion du monde :
Cette fois, plus aucun doute possible sur les dons exceptionnels de ce
jeune Normand, Cheinisse n'hésite plus: profitant de la double désertion
de Larrousse et Piot, l'un pour Porsche, l'autre pour Ford, il propose
à Thérier un contrat de trois ans. Le salaire est modique(1000 francs
par mois, un peu plus que le smig de l'époque) mais désormais, Jean-Luc
est professionnel.
Il
restera chez Alpine jusqu'à la fin. Jusqu'en 1975 où Alpine sera repris
par RenaUlt. Il passera de la R8 Gordini durant toute la saison 1969 à
la berlinette Alpine à partir de 1970. L'apogée de cette période se situe
bien entendu en 1973, l'année du titre mondial d'Alpine. Les mousquetaires
sont quatre et s'entendent comme larrons en foire, au point de partager
leurs prix entre eux, quels que soient les résultats de chacun. Il y a
Andruet dit «la panique», Darniche dit «la luge» (parce qu'à l'époque
il était chauve), Nicolas dit «Jumbo», etThérier dit «le fox». Jean-Luc
contribue largement au titre mondial en enlevant, pour sa part,fes rallyes
de l'Acropole,id'ltalieet du Portugal, en finissant 2~ au Monte Carlo,
3® en Suède et au Maroc ! II remporte du même coup un titre de Champion
de France des rallyes et si le titre mondial «pilotes» avait existé (il
ne sera créé qu'en 1977), c'est Thérier qui aurait été Champion du monde
des rallyes en 1973...
Durant les deux années suivantes, Thérier courra encore au volant de
Renault 17 et d'Alpine A 310, avant que Renault ne mette fin à toute cette
belle épopée en dispersant l'équipe rallye, pour se tour- ner vers les
protos.Ses 24Heures du mans et bientôt la formule 1. Darniche passera
chez Fiat, Aandruet Alfa Roméo, Nicolas Opel. Cheinisse luinoiera sa nostalgie
des années incomparables dans uneautre activité automobile thérieraprès
dix saisonsde fidélitéà firme française acceptera proposition toyota.
Mercenaire :
La
deuxième décennie de la carrière de Jean-Luc est beaucoup plus décousue.
Ppassant d 'une marque à l'autre notamment avec Toyota, de longues
périodes de malchance (jalonnées d'exploit, et d'un titre de champion
de France des rallyes sur terre en 1980). Il court désormais en indépendant,
en mercenaire. On le verra sur Porsche, Autobianchi, Volkswage, Renault
(encore un titre national en Renault 5 Turbo en 1983), Citroën enfin.
Il se partage entre son garage de Neutchatel où il a pris la succession
de son père et les rallyes refusant pour cela des propositions alléchantes
mais trop astreignantes ses yeux.
De tout temps, Jean-Luc a limité ses reconnaissances au strict minimum,
préférant rester chez lui en Normandie, à vendre des voitures (le
commerce le passionne), à jouer aux cartes et aux dominos avec
ses nombreux copains ou simplement être auprès de Jacqueline et Nicolas.
Une vie simple et tranquille. Jean-Luc est ainsi : beaucoup de simplicité
et de bon sens. Pas moindre soupçon de frime. Il rit beaucoup, prend la
vie du bon côté (même si ces derniers temps, il a beaucoup pleuré seul
dans son coin). Il est aussi capable d'être très dur avec
ceux dont il n'aime pas le comportement et les paroles.
Bref une forte personnalité pleine d'intelligence, de ruse, de chaleur
et d'humour. Jean Luc n'est une star ! Tout le monde l'aime dans son village.
Cela lui suffit !
Pierre Pagani (Echappement n° 200)
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